En route pour une découverte culturelle de la Provence avec, en point de mire, l’exceptionnel patrimoine cistercien que représentent les abbayes de Sénanque, Silvacane et Le Thoronet. Cette belle découverte se fait en traversant successivement la région du Mont Ventoux, le plateau de Vaucluse, le Lubéron pour longer ensuite la Montagne Sainte Victoire et passer à proximité du massif de la Sainte Baume avant de plonger vers la Méditerranée et s’offrir, au terme du périple, une traversée jusqu’à l’île Saint Honorat pour visiter les abbayes de Lérins. Vaste programme donc qui mérite bien trois à quatre pleines journées pour découvrir, admirer et tenter de comprendre.
Descendant depuis le nord, on quitte l’autoroute A7 au niveau de Donzère-Mondragon (sortie 19), en direction de Suze-la-Rousse pour rejoindre, en suivant la D94, Vaison-la-Romaine.
Vaison-la-Romaine
Vieille capitale Celte, avant de devenir romaine, la ville verrouille la rivière Ouvèze, toujours franchie par le vieux pont romain qui sut résister au terrible épisode “cévenol“ du 22 septembre 1992. La cité se distingue entre ville haute, médiévale et ville basse, romaine.
L’accès à la ville haute se fait depuis le pont romain en longeant les remparts. La voie passe au pied de la Tour de l’Horloge pour rejoindre la place de l’Eglise où se trouvent les deux beaux édifices que sont la Cathédrale (XV° siècle) et l’Hôtel de la famille Blégier. Des petites ruelles permettent de grimper jusqu’au château (fin XII°), juché sur son éperon rocheux.
On s’abandonne sans réserve aux vieilles ruelles qui sillonnent le belvédère en allant de place en place, les façades se rejoignant presque dans l’étroitesse contrainte du lieu…
Il en va tout autrement de la ville romaine en contrebas, vaste et aérée dont les ruines considérables se répartissent sur plusieurs quartiers et laissent deviner l’importance de l’antique et prospère Vasio. Là aussi, agréable et intéressante déambulation puis visite du musée archéologique recommandée. Pour l’hébergement, on ne peut que succomber au charme des chambres d’hôtes de l’Evêché, accueil parfait, chambres très confortables, décoration raffinée, vue imprenable ; que demander de plus ?
Quittant Vaison-la-Romaine, on pique vers le sud en laissant sur sa gauche le massif du Ventoux, direction Carpentras par la D938. Sortant de Carpentras on emprunte la D4 qui rejoint Venasque puis l’on prend la D177 qui rejoint Sénanque.
Abbaye Notre-Dame de Sénanque
On parvient à Sénanque en se glissant dans le lit de la Sénancole au fond duquel repose, en toute quiétude, l’abbaye de Sénanque.
Edifiée en 1848 par les moines de Mazan (Ardèche), grâce à la bienveillance des seigneurs de Gordes et de l’évêque de Cavaillon, ce monastère se présente à nous dans un état proche de qu’il fut à l’origine. Après avoir connu plusieurs siècles de rayonnement, le déclin survint vers le milieu du XVI° pour finalement voir la vente du bien à des particuliers, après la révolution. Dès 1854, on assiste au retour d’une communauté monastique qui s’y tiendra jusqu’en 1969 avant de migrer à Lérins. Depuis 1988, la vieille abbaye a retrouvé sa vocation première.
Le début de la visite se fait par le dortoir, vaste salle bien équilibrée et qui mène à l’église, Edifiée de 1160 à 1180, elle représente une sorte de perfection cistercienne, tant par les volumes que par l’élégance et le dépouillement de l’architecture. Ici tout est équilibre, élégance et concourt à l’apaisement et à la contemplation. Les bas-côtés, étroits, sont couverts d’un berceau partiel qui vient s’accrocher sur la nef. Belle coupole au dessus de la croisée du transept, qui vient reposer sur quatre trompes.
Une rareté à noter, l’abbatiale, aveugle, est dépourvue de portail. Il faut ensuite pénétrer dans le cloître, petit et plein de grâce, aux chapiteaux sobres. La Salle Capitulaire, intime, rappelle que l’abbaye a toujours connu un développement contenu. On termine la visite par le chauffoir qui servait également de scriptorium ; la production de manuscrits ne devait pas être l’activité première de Sénanque. On sort de l’édifice, apaisé surtout si l’on a la chance de le parcourir seul…
Gordes est tout proche ; de loin, ce beau village accroché à la montagne fait illusion. Il faudrait au final s’en tenir à une vision sublimée du pied de la colline tant est frustrant le parcours de ce village ravagé par le ravalement, au-delà du bon sens. Le découvrir en février est révélateur. C’est un village décor, absolument mort sans plus la moindre trace de vie, sans la moindre fumée s’élevant au dessus des toits. Les volets, obstinément clos, attendent le retour d’une “population“ hypothétique et branchée pour livrer la vieille ville aux marchands et à la confusion... Pathétique et vide de signification. Il faut quitter sans regret ce décor et profiter de la proximité du site des Bories pour retrouver, au terme d’une petite route interminable un extraordinaire ensemble d’habitat datant pour partie de l’époque Ligure (région de l’Italie qui s’étend le long du Golf de Gênes et sur le versant méridional des Alpes et de l’Apennin ligure). Etonnant lieu que ce village des Bories où l’on imagine sans peine l’organisation d’une vie sédentaire dans ces cabanes monumentales en pierres sèches. (Le mot "Borie", d'origine provençale, viendrait du latin "boaria" - étable à bœuf). Difficile de trouver des renseignements précis sur la datation de l’origine du peuplement de ce “village“, vieux de cinq siècles, ou plus ?
A proximité du très artificiel village de Gordes on retrouve d’authentiques villages (un peu moins dépouillés par la furia immobilière britannique), parfois encore peuplés d’habitants sédentaires (espèces en voie de disparition ?) La départementale 2 permet de rejoindre le village de Roussillon. Perché sur sa montagne d’ocre, le village, tout en couleurs, permet une belle balade à travers un lacis de petites rues et offre depuis le beffroi, une belle vue sur l’arrière-pays. Un chemin de ronde (actuellement fermé pour travaux), permet de faire le tour de la butte.
Toujours en direction du sud, il faut maintenant par la D149 aller à la découverte de Bonnieux, également accroché à un promontoire, dominant la plaine du Lubéron.
Il faut grimper par de raides et jolies rues pavées au sommet de Bonnieux pour atteindre la terrasse qui jouxte l’Eglise vieille. Là aussi, une belle vue panoramique est assurée par temps clair.
Quelques kilomètres encore vers le sud et c’est Lourmarin dont le château verrouillait la combe s’insinuant dans le massif du Lubéron. Belle construction en partie du XV° puis Renaissance. Le village, plat cette fois, incite à la promenade et à la détente. Une visite au cimetière permet de s’incliner devant la tombe simple et dépouillée d’Albert Camus.
La D943, toujours en direction du sud, mène vers la Roque d’Anthéron, célèbre pour son festival et qui recèle un autre joyau cistercien, l’abbaye de Silvacane.
Abbaye de Silvacane.
La moins connue des trois abbayes cisterciennes provençales n’est pourtant pas la moins intéressante. Affiliée à l’ordre de Citeaux au milieu du XII° après avoir été érigée un siècle auparavant par les moines de Saint-Victor de Marseille, Silvacane n’en présente pas moins tous les traits caractéristiques d’un édifice profondément cistercien qui datent en fait du XIII° siècle, période son apogée. Le déclin s’amorce au milieu du XIV° pour finir, comme d’habitude en ferme ou en grange à la révolution ce qui est toujours mieux que de servir de carrière…
Construite donc entre 1175 et 1230 elle présente un plan cistercien typique et l’on pense immédiatement à Fontenay en Bourgogne. La vaste église n’accueillit cependant jamais plus d’une vingtaine de moines auxquels s’ajoutaient les convers ? C’est donc, là encore, une petite abbaye, à l’échelle du pays environnant. Le cloître sobrement décoré a perdu ses baies géminées. La Salle capitulaire se signale par une élégante colonne torsadée. Ici aussi, le scriptorium et le chauffoir ne font qu’un ; les moines devaient être plus tournés vers les travaux des champs que vers la copie… Cette abbaye, la plus simple des trois dégage une forte personnalité tant par la perfection de ses volumes que par la pureté de ses formes. C’est un lieu d’équilibre qui force à la contemplation et à la sérénité.
On quitte forcément à regret un pareil lieu ; la prochaine étape est Saint Maximin-la-Sainte-Baume.
Si le temps le permet, on peut profiter de la vue sur la montagne Sainte Victoire, sur la droite, la route traversant successivement, Pertuis, Peyrottes-en-Provence, Rians.
Le massif de la sainte-Baume (la sainte grotte), déjà lieu sacré aux époques celtes puis gauloises doit son titre de sainteté à Marie-Madeleine qui s’y retira jusqu’à sa mort.
Saint Maximin-la-Sainte-Baume. La petite ville est dominée de manière spectaculaire par la basilique. Construite à la fin du XIII° par Charles d’Anjou sur un substrat mérovingien qui recélait les saints tombeaux de Marie-madeleine et de Maximin, la vaste abbaye fut confiée aux dominicains (jusqu’en 1957) pour garder les saintes reliques. Exemple remarquable gothique provençal, la basilique surprend par sa façade inachevée et son absence de clocher. La vaste nef, haute de près de 30m recouvre la crypte où l’on peut voir les sarcophages du IV° ainsi qu’un reliquaire renfermant un crâne considéré comme celui de Sainte Marie-Madeleine.
Le cloître (XIII°-XV°) de grande dimension, témoigne de l’importance de l’abbaye. Les autres bâtiments convertis en hôtel et restaurant (de très belle qualité) ne se visitent sauf à s’y restaurer ou (et) y séjourner…
La prochaine étape mène à l’abbaye du Thoronet en passant par Brignolles, utilisant la N7, route mythique. C’est par la D13, en direction de Cabasse que l’on remonte jusqu’à la vénérable abbaye.
Abbaye du Thoronet.
Comme à Sénanque, c’est aux moines de Mazan en Ardèche que l’on doit la fondation du thoronet et ce, dès 1160, pour voir la construction s’achever vers 1230. Inscrite au cœur de collines et de vallons arides, l’abbaye se déploie naturellement et harmonieusement dans son environnement naturel. Comme ses sœurs, la communauté ne fut jamais très nombreuse ni importante, en témoigne la dimension modeste et à taille humaine des bâtiments. Sa mise en commende, dans état proche de la misère, survient en1435. Abandonné temporairement en 1614 à cause des huguenots, ce sont seulement 7 vieux moines qui quittent l’abbaye à la révolution qui la transforme, comme d’usage alors, en étables ou écuries. Dans l’histoire elle perd toiture et clocher avant d’être sauvée par Mérimée (merci à lui !).
L’église, sobre et pure, voûtée en berceau est chiche en lumière, jouant entre ombre et clarté pour réserver ou magnifier ses volumes. Le cloître est remarquable ( beau lavabo, bien conservé); de forme trapézoïdale, il épouse la forme du terrain, comme architecturé par un F. L. Wright ou un Claude Parent, avec ces pans inclinés et ces déclivités. L’architecte Fernand Pouillon ne s’y est pas trompé et en raconte la construction dans son ouvrage, “Les pierres sauvages“. On visite ensuite le beau dortoir, à l’équilibre parfait.
Encore un lieu que l’on quitte sur la pointe des pieds…
On trouve un hébergement d’excellente qualité dans l’environnement artistique et raffiné de la Maison des Arts, qui offre de belles chambres d’hôtes à Carcès.
La route cistercienne ne s’arrête pas là et un édifice ultime appartenant à l’ordre fondé par Bernard de Clairvaux reste à découvrir avec le monastère de l’île de Lérins, au large de la ville de Cannes.
Cap vers la Méditerranée donc et pour ce faire on peut rejoindre Cannes par l’autoroute A8-E80.
On laisse donc à droite le Massif des Maures pour rouler vers Fréjus et enfin parvenir à Cannes.
De là on embarque sur le bateau navette qui relie les îles de Lérins, composées de l’île Saint Honorat, qui nous intéresse et de l’île Sainte Marguerite.
Monastères de Lérins.
A quelques encâblures de la détestable côte bétonnée, l’île Saint Honorat, hors saison, tient du miracle…C’est là que dès le IV° siècle fut fondée le monastère qui formera de nombreux évangélisateurs (dont Saint Patrick) qui parcourront la Gaule, l’Europe du nord et iront jusqu’en Irlande, avant de nous revenir en temps de disette.
Sur l’île, deux monastères sont à découvrir ; l’actuel au milieu un oasis de verdure et de vignoble, édifié de 1890 à 1930, d’un intérêt architectural modeste et l’ancien monastère, spectaculaire construction fortifiée en bord de mer, érigée au XI° siècle. La construction s’organise autour d’un très beau cloître à deux niveaux. La vue, depuis la terrasse supérieure, est saisissante !
Nous ne ferons pas de commentaire sur la région de Cannes et de Nice, urbanisée à outrance dont même, l’arrière-pays présente peu d’intérêt. Sur le plan de la curiosité architecturale on ne manquera pas toutefois de consacrer le temps nécessaire à la Villa Kérylos, pastiche d’une antique villa grecque, édifiée avec grand soin par l’architecte Pontremoli pour le compte de Théodore Reinach, entre 1902 et 1908. Etonnant et remarquable ! A peu de distance on peut également consacrer un peu de temps à parcourir les beaux jardins à thèmes de la villa Ephrusi de Rothschild (1907-1912).
Avant de quitter cette région, on peut recommander la visite des musées F. Léger à Biot, Picasso, à Antibes, Chagall et Matisse à Nice.
Ce long périple qui aura permis de découvrir tant de beaux sites ou édifices se conclue agréablement, au retour, par une étape marquée en Arles, pour en apprécier le patrimoine romain et gallo-romain et bien sûr Saint Trophime.
Arles.
C’est une petite qui communique, sitôt descendu de voiture, l’envie de déambuler et de se laisser aller au gré de ses rues étroites bordées de belles constructions. Bref, Arles ne peut laisser indifférent !
L’église (primatiale) Saint-Trophime présente un exceptionnel portail sculpté évoquant en les reliant, la Vision de Saint Jean à celle du Jugement Dernier . Edifiée au XII° siècle dans le style roman méridional tardif, le vaisseau surprend par sa hauteur et l’étroitesse des bas-côtés. Le cloître, qui ne verra son achèvement qu’au XIV° siècle présente aussi une statuaire et des sculpture de chapiteaux d’une exceptionnelle qualité malheureusement contrariée par une détérioration et une salissure de la pierre qui les rendent peu lisibles. Une campagne de restauration vient de commencer qui devrait rendre à cet ensemble toutes ses qualités premières. Il faut ensuite consacrer le temps nécessaire à la visite de l’Arles antique à travers la découverte du Théâtre, de l’amphithéâtre et des Termes de Constantin, sans omettre la Place du Forum et les cryptoportiques. Arles est décidément pleine de charme et un dernier détour, en la quittant, mène naturellement au Musée de l’Arles et de la Provence antiques qui réunit les très riches collections d’archéologie romaines et les met en valeur à travers une muséographie très réussie.
Avant de rejoindre l’autoroute qui remonte vers le nord, on pourra utilement faire étape à l’abbaye bénédictine de Montmajour et se remémorer des souvenirs d’enfance en allant rendre hommage à Alphonse Daudet en faisant étape au moulin de Fontvieille.