Aout 2008
Circuit Cardona, Manresa, Solsona
Voyage au cœur de la Catalogne
Ce circuit long d'environ 600 km est une invitation à la découverte du cœur géographique de la Catalogne.
Au long de son déroulement, on traversera successivement la Garrotxa, le Ripollès, le Bergueda, le Bages, le Solsones. Grande diversité de paysages, donc, qui vont des volcans éteints d"Olot aux montagnes de sel de Cardona en passant par les contreforts de la Serra de Cadi, au nord de Berga. Situées régulièrement en altitude modérée, entre 600 et 1100 m, de belles routes sinueuses parcourent ces contrées et distribuent un habitat dispersé qui vient mailler ce beau et vaste territoire. Cet itinéraire fait la part belle à trois grandes périodes architecturales, Art préroman et roman, Baroque et Modernisme qui s’entremêlent et se complètent, sans jamais s’opposer. Plus de 1000 années d’histoire nous sont ainsi proposées à la découverte, sans rupture ni fracture.
Bien sûr, aucun parcours ne peut prétendre à l’exhaustivité et, là comme ailleurs, il y a des oublis, des choix, voire des impossibilités en fonction des horaires ou d’un chantier de restauration en cours ; tout autant de bonne raisons pour y revenir au plus vite. Enfin, toute quête doit rester un plaisir et se faire au rythme et selon les possibilités de chacun.
Jour 1
Départ
On l’imagine toujours depuis le Perthus pour rejoindre Figueras. De là, on prend vers l’ouest la N260 qui, partiellement à 4 voies, file vers Olot, nichée à 450m d’altitude au cœur d’un exceptionnel parc volcanique, le plus important de la péninsule ibérique.
OLOT
Olot a pour particularité d’avoir été pratiquement rasée par les grands tremblements de terre de 1427 et 1428 qui causèrent tant de dégâts en Catalogne.
Reconstruite, la ville prospère à nouveau et connaît son épanouissement grâce au développement de son industrie textile, encore présente d’ailleurs. Le XVIII° siècle dotera la ville d’édifices néo-classiques et baroques et c’est presque naturellement qu’à la fin du XIX et au début du XX°, Olot, grâce à la prospérité industrielle, verra l’avènement du style modernisme qui y signera quelques belles réalisations ainsi que la réalisation, vers 1910, d’une des premières cité-jardin d’Europe, édifiée dans l’esprit du noucentisme. Au XIX° siècle, encore, la cité verra la naissance d’un mouvement artistique connu sous le nom d’Ecole d’Olot.
Pour visiter Olot, le plus simple est de se garer au parking à proximité de l’Office de Tourisme, au cœur de la ville. Sortant du parking, on tourne à main gauche dans la Carrer de l’Hospici pour aller Plaça Mora ; là est édifiée la Pastisseria Ferrer avec sa façade joliment ornée de délicats motifs floraux. On s’engage dans la Carrer de Bellaire puis l’on suit la Carrer dels Clivillers pour remonter sur la gauche, la Carrer de l’Aigua qui mène à la Plaça del Conill, décorée comme il se doit d’un lapin juché sur une colonne. Deux édifices modernistes sur cette place ; à main droite, la spectaculaire Casa Pujador (1911-1912) dont la façade en pierre piquée est surmontée d’une imposante tour ronde. A main gauche, plus discrète mais très élégante, la Casa Escubos, érigée en 1906, ornée d’élégantes céramiques rouges et vertes.
On parcourt maintenant la Carrer Major et l’on se dirige vers l’église Sant Estève dont on remarquera le portail latéral en céramique jaune, apport moderniste de Sureda, ainsi que les aménagements des terrasses, réalisés en 1905. A l’intérieur de l’église, on s’intéressera au maître-autel et au retable. Face à Sant Estève, sur la Place d’Estève Ferrer, la Casa Gaieta Vila El Drac, construction moderniste colorée, d’inspiration médiévale, bâtie en 1901, est due au talent de l’architecte Alfred Paluzia.
On s’engage alors dans le Passeig, vaste et large boulevard pour aller jusqu’à la Casa Sola Morales, sans doute le plus bel exemple d’architecture moderniste à Olot. Imaginée par Luis Domenech i Montaner, cette splendide demeure fut édifiée entre 1913 et 1916. Au rez-de-chaussée, deux élégantes caryatides sont l’œuvre du sculpteur Arnau i Mascort.
On redescend le Passeig pour tourner à droite dans la Carrer de Sant Rafael et rejoindre ainsi l’étonnante Casa Gassiot, réalisée entre 1913 et 1916 par Alfred Paluzia. Là aussi, on remarquera de fortes influences néogothiques.
En partie haute de la façade, l’aigle fait référence à la médecine cependant que la sculpture féminine au dessus de la porte symbolise la radiologie, activité du propriétaire de l’époque. En remontant la rue, on peut voir à droite la Casa Sibidi de 1916, délicatement décorée de motifs floraux et de sgraffites.
Revenu à proximité de Sant Estève, on s’arrêtera à la maison-Musée Can Trincheria. Cette ancienne et importante demeure seigneuriale d’Olot raconte la vie quotidienne d’une grande famille bourgeoise à travers les différents lieux de vie de la maison, tous très joliment meublés. Une particularité à voir absolument, une salle toute entière dédiée à une crèche monumentale qui développe sur deux murs un ensemble de scènes bibliques et quotidiennes dans une invraisemblable profusion ornementale.
Si le temps le permet, on ne quittera pas la ville sans rendre visite au Museu Comarcal de la Garrotxa qui abrite, en particulier, les collections de l’Ecole paysagère d’Olot.
Cap à l’est dorénavant pour rallier Ripoll, toujours par la N260.
Ripoll
Ville sans charme particulier, Ripoll abrite le très beau monastère de Santa Maria qui mérite détour et visite.
Fondé en 882 par l’illustre Guilfred le Velu considéré comme le père-fondateur de la Catalogne au IX° siècle, le monastère fut à nouveau consacré en 1032 par le non moins célèbre abbé Oliba. L’église originelle, autour de laquelle s’est greffé le monastère n’a cessé d’évoluer et d’être remaniée et ce, jusqu’au XIX°siècle. L’ensemble garde cependant une belle homogénéité. La visite débute par le portail, monumental, malheureusement très dégradé par les affres du temps et des guerres, avec, en particulier, les contributions françaises des XV° et XIX° (Philippe le Hardi et Napoléon).
L’érosion et l’aveuglement de la soldatesque n’ont pu venir à bout de cet ensemble et il faut déchiffrer patiemment ce qui peut l’être. On accède ensuite à l’intérieur de l’église, un peu trop restaurée entre 1886 et 1893… Dans le transept, à gauche, on peut voir le sarcophage de Guilfred le Velu. On accède au cloître, superbe construction à 2 étages, érigé entre les XII° et XVI° siècles.
Quittant Ripoll, on remonte la N152 vers le nord pour prendre, au bout de quelques kilomètres, à gauche, le GI401, en direction de Gombren. De là, une route bonne mais sinueuse, s’élève pour passer le col de Merolla, à 1090m. On arrive à la Pobla de Lillet, où l’on tourne à droite en direction de Castellar de N’hug. A mi-chemin, se profilent sur le flanc gauche de la vallée, les étranges ruines de l’ancienne cimenterie du Clot del Moro.
On tient là un des exemples majeurs de l’Art Nouveau catalan, dans l’interprétation d’un site industriel. Le résultat est saisissant, les bâtiments, aux formes ductiles et déliés, semblent épouser les contreforts de la montagne. Cette usine appartenait au grand industriel barcelonais Eusebi Güell qui en confia la réalisation à Rafael Guastavino en 1904. Sa forme qui suit la déclivité de la colline permettait d’utiliser la force naturelle de la gravité dans le processus de fabrication du ciment. Elle ferma ses portes en 1975.
Ayant redescendu jusqu’à la Pobla de Lillet, on prend, sur la droite, la direction de Guardiola de Bergueda. Par un rapide crochet, au nord-ouest de la ville, il est possible d’aller rendre visite au monastère de Sant Llorenç de Prop Baga. Erigée dés 898, l’édifice est aujourd’hui en cours de restauration et conjugue avec un certain bonheur, parties anciennes et parties neuves ( en aout 2008, on ne visite pas…)
C’est maintenant la route E9C16, en direction de Berga, qu’il faut suivre. Avant l’arrivée à Berga, il faut prendre le BV 4241, sur la droite, qui mène à Sant Llorenç de Morunys.
On pénètre ainsi dans la belle vallée de Lord.
Sant Llorenç de Morunys, au cœur de la vallée de Lord, accueille l’église paroissiale de Sant Llorenç qui fut celle de l’ancien monastère bénédictin. Bel édifice roman du XI°, il est orné d’un maître autel baroque mais plus remarquable encore est l’autel de la chapelle de la Mare de Deu dels Colls, réalisé par le maître Josep Pujol. A l’église est adjoint un cloître, intime, de facture très simple. Cette première journée se conclue en ralliant directement Cardona et son magnifique Parador, en passant par Solsona que l’on visitera plus en détail, le troisième jour.
Cardona
Comme beaucoup de ses congénères, la Parador de Cardona assure un lieu de séjour de haute qualité, associé à un site historique remarquable. Ici, il est implanté au cœur d’une place forte, agrémentée de la présence de la collégiale Sant Vicenç. Le château, pour sa part, est répertorié en 798 comme possession de Louis d’Aquitaine, héritier de Charlemagne. Le lieu, stratégique, connut bien sûr les péripéties des conquêtes et des reconquêtes jusqu’à fixer, au pied de la citadelle, une zone de peuplement durable avec la charte de 986. Dépendant du Comte de Barcelone, les Vicomtes d’Osara vont établir durablement leur pouvoir en ces lieux jusqu’à la fin du XVII°. La place forte est démilitarisée en 1903. La restauration complète du site, toujours en cours, démarre dans les années 60.
La Collégiale Sant Vicenç est l’une des constructions les plus représentatives du style roman lombard catalan. Accrochée à près de 600m d’altitude, la collégiale, bâtie entre 1019 et 1040 se dresse comme la proue d’un navire minéral. Comportant 3 nefs, son transept est surmonté d’une tour lanterne. Sous l’abside, belle crypte à triple nef reposant sur des colonnes.
On pénètre dans l’église par une sorte d’atrium, cependant que la tribune accessible par 2 escaliers latéraux permet de profiter d’une belle vue plongeante sur l’intérieur de Sant Vicenç. Le cloître, fortement ruiné et joliment reconstitué, date du XVI°. Depuis le château et du haut de la tour de la Mignonne, le regard porte sur l’étrange paysage des mines de sel qui environnent le site.
Jour 2
Pour entamer cette deuxième journée, on prend la C55 pour se rendre à Manresa.
Manresa
Peuplée de plus de 70 000 habitants et chef lieu de la région, Manresa est traversée par le Cardenas, peu avant sa fusion avec le Llobregat. Ancienne place fortifiée avant le IX° siècle, la bourgade d’alors devient une place forte dans la stratégie de Guilfred le Velu (879-880), dans la reconquête chrétienne.
Presque 10 siècles plus tard, les guerres napoléoniennes n’arrangeront rien aux affaires de la ville qui, opposant à l’occupant une farouche résistance (1881), subit des dégâts considérables. Manresa est aujourd’hui une ville qu’il faut s’appliquer à découvrir et dont le riche patrimoine intéressera le plus grand nombre, à travers les périodes médiévales, baroque puis Art Nouveau.
On commencera par stationner son véhicule au Parking Central de la Placa del Mercat, par exemple. De là, on rejoint la Placa Major (office de Tourisme) puis Santa maria, la cathédrale, également appelée, la Seu.
Remarquable édifice gothique à l’allure surprenante, la Seu est due au talent de Berenguer de Montaigut. Sobre de décoration, elle privilégie l’espace avec une très vaste nef. Débutée en 1325, la construction ne sera pas achevée avant le XV°. De beaux retables retiennent l’attention et méritent l’intérêt tels le retable du Saint esprit, le retable de Saint Michel et Saint Nicolas ou encore celui dédié à Saint Marc. On accède au cloître, de modestes dimensions, par une belle porte romane à voussures.
De la période gothique on s’achemine vers le baroque en prenant l’escalier à l’extrémité du jardin au chevet de la Seu. Là après un rude contact avec le trafic urbain, on remonte vers la Cova, haut lieu de l’histoire du mouvement jésuite. C’est en effet à Manresa que saint Ignace de Loyola eut la révélation de sa vocation. En 1522, il y rédige les Exercices Spirituels. Selon la légende, Saint Ignace se retirait dans une petite grotte, hors le monde, pour méditer et écrire. Aujourd’hui, la modeste grotte est enchâssée au sein de l’église édifiée selon les canons de l’architecture des jésuites entre 1750 et 1763, soit un bâtiment pesant et froid, dénué de toute élégance. L’entrée de la grotte se trouve au bout de la nef à gauche. L’église de trouve prolongée par l’immense Maison des Exercices, érigée avec la même lourdeur, dans le style néo-classique entre 1894 et 1896. La modestie et le dénuement du lieu de recueillement cher à Saint Ignace sont bien oubliés…
En descendant, on franchit la rivière par le pont Vell, belle construction médiévale en dos d’âne. On longe la rivière jusqu’à la gare (belles vues sur la Seu) pour tourner à droite et franchir le pont en direction de la Place de la Réforme puis vers la Carrer d’Alfons XIII ; Là commence l’itinéraire Moderniste. Arrivé à la placa de l’Om, on peut voir la Pharmacie Esterre (Architecte J. Firmat). On suit la Carrer Born ; à gauche, l’immeuble du tailleur Tuneu et ses belles enseignes en vitraux réalisées par le peintre F Cuixart. Arrivé sur la Placa Sant Domenec, on remarque l’insolite kiosque à journaux imaginé en 1917 par J.Firmat d’après une esquiise J.Puig i Cadafalch. Sur cette même place, à main gauche, on contemplera la vaste Maison Torrents, la « Baresa », imaginée en 1905 par l’architecte Ignaci Oms dans le style historiciste néo-gothique. Une fois traversée la Murailla del Carme, on s’engage dans le large passeig Père III. A main droite et actuellement en restauration, se trouve la Maison Régionale, architecture imaginée par Alexandre Soler i March, en 1918, dans l’esprit du Noucentisme.
A mi-Passeig, sur la gauche, se révèle le Casino, œuvre d’Ignaci Oms i Ponsa, qui exprime une vision très personnelle du Modernisme et dont seule l’aile sud est conforme au projet original. On prend la Carrrer Arquitecte Oms, à gauche du Casino, pour aller voir cette merveille qu’est la Casa Lluvia, également due au talent d’Ignaci Oms (1908) et qui exprime pleinement la maturité de l’Art Nouveau catalan.
Juste à proximité, à l’arrière du Casino, la Maison Torra (1910), du même architecte, fait la preuve de la diversité de son talent. On regagne le Passeig pour observer, en face du Casino, la maison Gabernet Espanyol, toujours du même et prolifique Ignaci Oms (1898), expression précoce de l’Art Nouveau. A l’extrémité nord du Passeig, sur la droite, on appréciera sans réserve la Maison Padro, œuvre de Bernat Pejoan (1918). On prend alors, sur la droite, la Carrer Angel Guimera où le talent d’Ignaci Oms s’exprime à nouveau à travers la réalisation de la Maison Padro Domenech, en 1903. Après ce beau périple, on peut rejoindre le parking et chemin faisant, prendre tout son temps pour admirer l’extraordinaire immeuble Jorba, rare expression de l’Art Déco (1934-1940), d’Arnau Calvet. Récemment restauré, c’est une splendeur !
La journée a été bien remplie, il est temps de retourner à Cardona et de profiter de la beauté du site et du confort de l’hôtel. Si toute fois, vous en avez le temps et le goût, vous pouvez, à proximité, vous offrir deux découvertes, parfaitement antagonistes…
En premier, sans que cela signifie une préférence, Sant Fruitos de Bages, où se trouve la remarquable abbbaye bénédictine de Sant Benet de Bages, aujourd’hui restaurée et incluse dans un grand complexe mêlant l’hôtellerie de luxe, un atelier de cuisine contemporaine, le tout dans un « package » très touristique. Pour preuve, la visite de l’église seule (non guidée) de l’abbaye n’est pas possible pour cause de mise en œuvre de techniques mettant en œuvre des stimuli sensoriels… à chacun de voir, en fonction de son rapport avec un lieu.
En second, l’antithèse que constitue Sant Cugat del Raco ; église du XI° de style roman lombard, c’est un des édifices remarquables qu’il faut voir pour son architecture parfaitement proportionnée, rigoureuse et élégante, surmontée d’une tour lanterne cylindrique. A contrario, l’environnement plus que misérable du hameau qui jouxte l’édifice n’est guère incitatif, pas plus que la quasi absence de signalisation pour y parvenir. De Manresa, il faut prendre la direction de Berga (C16-E9) jusque Navas ; de là on tourne à gauche à l’entrée du village puis l’on suit une bonne route pendant une dizaine de kilomètres en s’élevant progressivement dans un charmant paysage, jusqu’à parvenir au hameau.
JOUR 3
La troisième journée, celle du retour, nous invite à la découverte de Solsona ainsi que d’autres sites intéressants…
Au départ de Cardona, que l’on quitte forcément à regret, il faut prendre la route BV3001 qui remonte sur le plateau et permet d’atteindre, en pleine campagne, un lieu de paix et de contemplation réellement admirable. Il s’agit du sanctuaire d’El Miracle. De beaux et vastes bâtiments, témoignant de l’importance du lieu, s’organisent autour d’un bassin ; de là un escalier mène à une grande esplanade centrale sur laquelle s’ouvre le sanctuaire. On y verra, dans une grande église de style baroque, inachevée, un retable de très grandes dimensions, réalisé entre 1744 et 1758, considéré comme l’un des plus remarquables de Catalogne. Particularité, on peut pénétrer à l’intérieur du retable (porte cylindrique, en bas à droite) monter par un escalier et ainsi côtoyer les sculptures dans une intimité rarement permise : l’effet est garanti !
On rejoint maintenant directement Solsona, ville peu connue qui va se révéler être une escale des plus intéressantes.
Solsona
On peut laisser facilement son véhicule au parking de les Moreres, face à l’entrée de la vieille ville dans laquelle on pénètre par le portail du pont et, là, tout de suite, la magie du lieu fonctionne. Vieilles rues pavées, places tranquilles, belles constructions joliment restaurées, tout concourt à une déambulation des plus agréables. On commence la visite par la Cathédrale qui abrite la Marededeu del Claustre, vierge à l’enfant du XII°siècle. Le musée épiscopal, juste à côté est hautement recommandable ; il présente des collections d’art roman, gothique, renaissance et baroque. On portera un regard amusé et étonné sur une salle consacrée à des sculptures en trompe l’œil, taillées dans la roche saline locale car il faut se souvenir que l’on est dans le pays du sel !
Sortant du musée, on passe devant la fontaine de l’église (XV°) pour remonter vers la Plaça Major et ses belles maisons à arcades puis l’on s’engage dans la Carrer de Llobera. C’est dans cette rue que résidaient jadis les marchands fortunés ; ils construisirent d’imposantes demeures ayant pour particularité d’être ornées, sous toiture de têtes et motifs sculptés. Arrivé à la Vieille Porte, tourner à droite vers la Place et la Fontaine Sant Isidore puis vers la Porte du Château. On redescend la Carrer del Castell vers l’Hôtel de Ville du XVI° et la Maison Moneto, du XVIII°. On passe sous la Tour des heures qui évoque le macabre souvenir du supplice imposé aux ânes dans le passé…Les habitants étaient appelés Mata-rucs ou mataburros, les tueurs d’ânes en raison d’une curieuse coutume locale qui consistait, une fois l’an à pendre un âne en le hissant, garotté au sommet de la Tour d’Heures. Le pauvre animal se vidait d’effroi et se trouver en dessous était considéré comme porte-bonheur. Autre temps autre mœurs…
On arrive sur la belle Place de Sant Joan avec sa fontaine centrale du XV°) et de très belles maisons patriciennes riveraines.
Il suffit alors de tourner à gauche dans la Carrer de la Regata pour prendre la Carrer Sant Roc et changer d’époque en allant admirer un chef d’œuvre de l’Art Nouveau, l’Hôtel Sant Roc, construit à la fin de cette période architecturale, en 1929.
On quitte forcément conquis cette ville de Solsona, décidément pleine de charme.
Il faut maintenant envisager le retour qui se fera classiquement par Berga, puis Ripoll, Olot et Figueras. Il reste toutefois à faire étape, sur le chemin du retour, à Olius en prenant la C26 en direction de Berga.
A Olius, belle église Sant Estève, consacrée en 1079 et qui repose sur une intéressante crypte. Près du parking, il ne faut surtout pas manquer d’aller parcourir le surprenant cimetière Art Nouveau catalan imaginé et réalisé en ce lieu par Martorell en 1926.
A Berga, enfin, un dernier détour d’une dizaine de km permet d’accéder au Sanctuaire de Notre Dame de Queralt ou l’on pourra apprécier une vierge noire à l’enfant d’une réelle beauté ! Après tant de délicatesse, la route du retour n’est qu’une formalité…
Réflexions sur le Modernisme
La fin du XIX°siècle est illuminée par l’idée de la modernité et l’on assiste à une vive opposition entre les tenants de la tradition académique et les défricheurs qui veulent libérer la création.
Cela se traduit dans le langage, la littérature, les arts appliqués, la musique et, bien sûr, l’architecture.
La plupart des pays européens s’inscrivent dans ce vaste mouvement, suivant en cela l’exemple de la Grande-Bretagne avec l’apparition du mouvement « Arts&Crafts » développé par William Morris, C.R. Ashbee, W.R. Lethaby ou encore John Ruskin. Ce mouvement se singularise par une volonté de réforme dans la conception du travail en opposition à la décomposition des tâches imposée par la révolution industrielle. Il s’agit alors de redonner un sens au travail conjugué du créateur et de l’artisan à travers l’exécution à d’objets ou de réalisation conjuguant la simplicité et la référence à la splendeur des civilisations passées. Cela sera souvent traduit par l’expression d’un retour à la nature, prônant des formes, souples et ondoyantes au charme délicat, mêlant animaux réels et fantastiques dans un bestiaire recomposé. L’année 1888 voit se tenir la première exposition de l’Arts&Crafts Society (issue de l’Art Workers Guild qui regroupait architectes, artisans d’art, peintres et sculpteurs). Tous ces artistes ont en partage un goût marqué pour les primitifs italiens (préraphaélites) et l’art du Moyen-âge. Par leur travail, le plus souvent manuel, ils entendent s’opposer à l’uniformité mécanique industrielle.
Ils s’opposent de cette manière à l’esthétique du goût victorien.
De ce fait, le mouvement Arts&Crafts entend poser les bases d’une esthétique morale conjuguant 4 principes : unité décorative, joie au travail, individualisme, régionalisme.
Engagement courageux en cette époque de grands bouleversements alors que de profondes mutations s’opèrent au sein de la société. La campagne migre vers la ville, le monde industriel en plein développement, obscurcit la vision et abrutit les masses de travailleurs qu’il attire chaque jour. Alors que les cheminées, symboles de prospérités, crachent jusqu’au cœur des villes les fumées nauséabondes, émerge l’idée d’un monde épris de nature et avide de liberté ; utopie ou escroquerie intellectuelle que de prôner un monde végétal et libéral quand l’individu n’a d’autre choix que de quitter une nature devenue hostile et qui ne sait plus le nourrir ? Il sera d’ailleurs reproché à William Morris ses contradictions entre aspirations socialistes et création d’objets de luxe réservés à ceux-là même qui
« asservissent » le plus grand nombre.
C’est dans ce contexte qu’éclosent, à travers l’Europe et dans la prolongation d’Arts&Crafts, le Modernisme en Espagne, le Jugendstil en Allemagne, l’Art Nouveau en Belgique puis en France, le Sezessionstil en Autriche, à Vienne ou encore Tiffany aux Etats-Unis. L’ensemble de ces mouvements s’épanouit au long d’une petite cinquantaine d’années, de 1880 à 1930, époque à laquelle l’Art Déco affirmera sa suprématie (en fait dès 1920 selon les lieux).
Le Modernisme en Espagne
Dans le dernier tiers du XIX°siècle, l’Espagne, recroquevillée sur elle-même, accuse un grave retard sur le reste de l’Europe. Institutions figées, pouvoir centralisé, l’Espagne apparaît comme une province attardée, en totale déconnexion avec le monde culturel européen. Et pourtant, malgré ce constat peu encourageant, émerge, à l’est de la péninsule, la fière et ardente Catalogne. Et, en Catalogne, émerge Barcelone qui, seule en Espagne a capacité à s’inscrire dans le concert des nations. En effet, avec plus de 500 000 habitants, Barcelone et sa région constituent le seul pôle économique du pays, pouvant revendiquer, selon les secteurs de 20 à 40% de la potentialité de la péninsule. C’est donc là que va s’épanouir un vaste mouvement de pensée et de réflexion qui à travers le modernisme marquera sa singularité jusque sur les voies de l’autonomie de la région catalane.
Barcelone est donc, à sa manière, capitale et l’affirme en accueillant en 1888 l’Exposition Universelle, privilège pour cette ville quand l’on sait que seules des cités comme Paris, Vienne, Londres, Chicago ou Philadelphie ont pu accueillir de tels évènements par le passé.
C’est le déclic qui va provoquer la recomposition de la ville, son éclatement puis son épanouissement. La perte des anciennes colonies espagnoles (Cuba, Porto Rico, Philippines) en 1898 va également profiter à la capitale catalane qui bénéficiera d’un afflux de capitaux apportés par les americanos, à leur retour. On retrouve là, d’une certaine manière, une similitude avec l’afflux d’argent que connut Nancy après que les riches familles messines eurent choisi de quitter leur ville suite à la capitulation de 1870 ; l’Art Nouveau à Nancy en est une des heureuses conséquences.
On le voit, toutes les conditions étaient réunies à Barcelone et sa région pour l’éclosion d’un vaste mouvement qui, au delà de l’architecture, allait porter ses fruits dans les arts appliqués, la littérature, la musique et à travers toute la vie culturelle.